Dans la veine des folkloristes qui parcourent les villes et les campagnes pour recueillir ce qui constitue le patrimoine culturel des gens et des lieux, Jean-Marie Gourio réalise depuis plus de 30 ans, un collectage tenace et habile des traits d’humour involontaire, des saillies de l’esprit embuées par les vapeurs fumantes à haute teneur d’éthanol, prélevés ici et là dans les bars, les bistrots et autres troquets.
« Toute l’aventure des Brèves de comptoir a commencé ce jour où j’ai entendu cette petite phrase : « Est-ce qu’une plante carnivore peut être végétarienne ? Je crois pas… » lancée en l’air par un client accoudé devant un petit verre de vin blanc. Amusé, et pour ne pas l’oublier – bon réflexe – je la notais. Le lendemain, j’en notais une seconde au Relais Lagrange de la Place Maubert, puis une troisième au Chinon, une quatrième et une cinquième au Bar du Métro, puis d’autres encore dans d’autres bars, au Fleury, au Café de la Poste, au Cigarillo, aux Trois Canons, à la Civette, au Cépage, au Balto, des dizaines, des centaines, bientôt des milliers, et cela n’a jamais cessé ! J’avais découvert la Brève ! Pépite de mots brillante au milieu du torrent des phrases… Jean-Marie Gourio »
C’est le troisième opus théâtral de ces compilations hilarantes que nous proposent Jean-Marie Gourio et Jean-Michel Ribes. Si le divertissement est de mise à nouveau, et sans doute revendiqué comme la fonction principale de ces théâtralisations, nous retrouvons ici encore la volonté d’offrir des moments de rire intelligent où se contenter du premier degré serait sans doute avoir la vue courte et l'écoute simpliste, ce qui serait dommage.
Captivant et troublant du début à la fin, on sourit tout le temps et on rit souvent, autant pour ces tournures de langage spontané que pour la surprenante observation logique qu’elles véhiculent. Il y a dans ces paroles désinhibées comme une libération ludique propre à l’enfance, qui partage sans le dire une pensée latérale, une approche détournée d’une réalité non feinte, une certaine vérité de nous-mêmes.
Très adroit spectacle que ces tranches de vie franchement drôles qui relèvent le défi délicat de montrer les failles et les faiblesses sans sombrer dans la moquerie, l’humiliation ou la condescendance.
La mise en vie est de facture colorée et brillante. On ne pouvait s'attendre à moins de la mise en scène de Jean-Michel Ribes assisté par Olivier Brillet. Ça fuse cyniquement et ça diffuse ironiquement. Donnant au singulier ce que le collectif ne permet pas, des gros plans burlesques ou des temps suspendus frisant parfois l’onirique d’une poétique triste, désabusée ou vacharde. Les scènes de groupe viennent à point nommé pour apporter des éclats absurdes et leur splendeur grotesque, laissant flotter un parfum fraternel parmi cette humanité en errance.
La distribution est finement et précisément dirigée par Jean-Michel Ribes. Elles et ils jonglent avec les mots et les situations sans excès ni appuis. Philippe Duquesne, Nanou Garcia, Gilles Gaston-Dreyfus, Philippe Magnan, Marie-Christine Orry et Philippe Vieux jouent, au sens propre comme au figuré, avec un chaleureux brio et une remarquable efficacité. Et nous, nous jouons le jeu bien volontiers, cueillis et ravis.
Du théâtre de plaisir comme on aime où l’émotion câline la pensée et la dérision, jamais dérisoire, chemine tout le long. N’attendez pas l’apéro, ne manquez pas ces moments bonheurs.
Spectacle vu le 12 novembre 2021
Frédéric Perez
De Jean-Marie Gourio. Adaptation de Jean-Marie Gourio et Jean-Michel Ribes. Mise en scène de Jean-Michel Ribes assisté de Olivier Brillet. Scénographie de Emmanuelle Favre. Costumes de Juliette Chanaud. Lumières de Jacques Rouveyrollis. Accessoires de Célia Marolleau. Musique de Jean-Claude Camors.
Avec Philippe Duquesne, Nanou Garcia, Gilles Gaston-Dreyfus, Philippe Magnan, Marie-Christine Orry et Philippe Vieux.
Du mardi au samedi à 21h00 et le dimanche à 15h00
1 place Charles Dullin Paris 18ème
01.46.06.49.24 www.theatre-atelier.com