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Voici une adaptation riche et audacieuse d’une des pièces les plus originales de Luigi Pirandello Così è (se vi pare)  C'est ainsi ou c'est comme ça (si bon vous semble ou si ça vous plaît), écrite en 1917, dans laquelle l’auteur propose une parabole sur le doute et la vraissemblance que le regard social pose sur la connaissance d’autrui.

« Pourquoi Monsieur Ponza semble séquestrer sa femme chez lui? Pourquoi empêcher sa belle-mère, Madame Frola, de rendre visite à sa fille? Sa conduite a de quoi intriguer les habitants. Très vite, l’émotion grandit, les esprits s’échauffent. Qui croire? Les hypothèses fusent, toutes les théories sont plausibles. Plus on court après, plus elle échappe cette fameuse vérité. Serait-elle relative à chacun, profondément subjective, comme le suggère le personnage Laudisi? »

Écrite à partir d’une de ses nouvelles Madame Frola et Monsieur Ponza, son gendre, Pirandello fait de sa pièce en trois actes une peinture paradoxale, proche de l’absurde et quasi surréaliste, de la médisance et du doute, du désir et de la subjectivité.

Guillaume Cayet ajoute ici un quatrième acte volontairement trash qui pousse plus loin le récit et l’extrapole dans un imaginaire aux aspects d’un réel qui pourrait être aujourd’hui. La cruauté sublime la folie ambiante des trois précédents actes, rendant le propos sur la quête de vérité plus vif et incisif. Le doute est sublimé en rumeurs qui sourdent et en colères qui grondent jusqu’à exploser dans un abyme de violence conduisant au chaos.

Qui dit quoi, qui dit vrai, qui croire ? Le doute est-il le résultat d’une suggestion ou d’un désir de croire la réalité telle qu’elle nous plairait ? Quelles sources d’information nous renseignent vraiment ? Quelles influences s’exercent sur les dires et les faits rassemblés ? Quelle fiction croire pour obtenir la vérité ? Faut-il inventer pour savoir ? À quel prix doit-on soumettre la quête de vérité ? Autant de questions qui surprennent l’écoute et le regard du spectateur. Mais lui finalement, que va-t-il observer et qui va-t-il croire ?

La scénographie de Thibaut Fack est particulièrement bien choisie, comme une évidence de proposition scénique au service du texte. Ces escaliers dont on ne sait où ils mènent et si les personnages les empruntent pour monter ou descendre quelque part contribuent à nous placer au cœur d’une gigantesque illusion d’optique permanente. C’est savoureux.

La mise en scène de Julia Vidit assistée par Maryse Estier met l’ensemble, rythme narratif, expressivité des jeux et univers irrationnel, en harmonie parfaite avec le texte, tout en férocité et sans concession. Un parti pris résolument amer voire cynique, rehaussé par les couleurs toniques et loufoques de l’interprétation qui est littéralement magistrale. Ironie, dérision, folie et cruauté traversent les postures et les mouvements, les intonations et la diction même des personnages. Le texte est magnifié.

Les comédiens jouent à merveille de toutes les illusions qui s’amoncellent. Il faut voir ces yeux hallucinés, ces jeux énigmatiques à souhait qui laissent au grotesque de ces sortes de clowns impressionnants et terrifiants le soin de nous emporter dans leur farce macabre et brutale. Elles et ils servent le texte avec un engouement et un abatage superbes. Marie-Sohna Condé, Erwan Daouphars, Philippe Frécon, Étienne Guillot, Adil Laboudi, Olivia Mabounga, Véronique Mangenot, Barthélémy Meridjen et Lisa Pajon sont troublants de vérités feintes, de malice et de jouerie… drôles parfois, effrayants souvent, redoutablement efficaces. On ne sait plus qui nous ment, nous rassure ou nous bluffe. Sublime interprétation !

La magie du théâtre par ses messages, ses images et ses sensations fonctionne ici de façon stupéfiante. Le texte, la mise en vie et surtout l’interprétation nous ravissent. Un vif plaisir « pirandellien » !

 

Spectacle vu le 16avril 2022

Frédéric Perez

 

 

D'après Luigi Pirandello. Nouvelle traduction de Emanuela Pace. Adaptation, écriture et dramaturgie de Guillaume Cayet. Mise en scène de Julia Vidit assistée par Maryse Estier. Scénographie de Thibaut Fack. Lumières de Thomas Cottereau. Son de Bernard Valléry. Costumes de Valérie Ranchoux-Carta assistée de Rose-Catherine Mariani, Alix Descieux-Read, Ophélie Reiller, Jennifer Ball et Prune Lardé.  Perruques et maquillages de Catherine Saint-Seve. Accessoires de Antonin Bouvret.

Avec Marie-Sohna Condé, Erwan Daouphars, Philippe Frécon, Étienne Guillot, Adil Laboudi, Olivia Mabounga, Véronique Mangenot, Barthélémy Meridjen et Lisa Pajon.

 

 

 

Jusqu’au 24 avril

Du mardi au samedi à 20h00 et le dimanche à 16h00

Route du Champ de Manœuvre, Paris 12ème

01.43.28.36.36  www.la-tempete.fr

 

Photo © Anne Gayan

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