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C’est avec une férocité grinçante et sourde autant que détonante que Lucy Kirkwood, jeune autrice anglaise, façonne ce drame moderne aux allures d’uchronie où la dénonciation sociale, écologique et finalement culturelle se veut implacable et devient une évidence nécessaire à affronter. Le style narratif caustique et cynique au patchwork habile de ruptures et de saillies textuelles saute souvent dans les flaques du contrepied. L’humour à la crudité frontale impertinente et aux saveurs aigres de l’ironie, sème une drôlerie salvatrice où le rire vient piquer un univers délibérément mortifère.

« Un couple d’ingénieurs nucléaires à la retraite vit quelque part au bord de la mer près d’une centrale nucléaire qui vient d’être touchée par un tsunami. Une collègue ingénieur qui a participé elle aussi à la construction des grandes centrales scientifiques de la terre (un amour de jeunesse que l’on n’a pas vu depuis 30 ans), arrive un soir d’été pour leur faire une proposition étonnante. »

Le récit traverse tout le long un néo-réalisme allié à un néo-brutalisme qui ne sont pas sans rappeler les caractéristiques du mouvement théâtral britannique « In Yer Face » que Kirkwood semble rejoindre, dans la lignée de Kelly, Crimp ou Kane. La dramaturgie conflictuelle se délivre sur un mode de légèreté et de nonchalance. L’écriture semble vouloir nous tenir à distance de ce qui est dit, de ce qui est fait, de ce que nous comprenons être ça. Mais la narration est ici bien façonnée, ficelée avec adresse, et voilà que le paradoxe généré par le miroir cathartique du théâtre nous place tout net dans un champ de proximité avec les personnages et les situations.

Hazel, Robin et Rose nous surprennent et nous interrogent. Au-delà du trio vaudevillesque qui chahute en public ses souvenirs, ils nous content une satire contemporaine sur la volonté de résilience tentant d’imposer un renouveau pour ne pas sombrer dans l’abîme de la résignation. Mais est-il encore temps ? Croyance ou certitude ? Agitation désespérée pour conjurer le sort ou sublimation de la vieillesse dans le devenir des jeunes générations ? Ces autres nous-même, symboles de notre lignée, peut-être nos propres enfants. Les enfants. Oui les enfants, sorte de repère étalon qui survole l’ensemble de cette rationalité limitée développée dans le texte, signifiants majeurs du changement.

La mise en scène de Éric Vigner assisté par Alban de Tarlé dessine une esthétique épurée de matérialité et réduit les mouvements au stricte nécessaire de la narration. Les sons bruitent et scandent le temps qui change, hachurant ou soulignant les situations. Le texte prévaut avec force et se délivre dans l’extériorité stylisée et clinique d’une scénographie dépouillée. Les personnages s’imposent alors, magnifiés par une remarquable interprétation.

Cécile BruneFrédéric Pierrot et Dominique Valadié nous saisissent et nous emportent dans ce récit prégnant qui devient un labyrinthe aux idées, bouscule notre imaginaire et notre réflexion. Elles et il se fondent dans leurs personnages, on les oublie tant ils sont vrais. Seuls demeurent Hazel (Cécile Brune, magnifique et majestueuse défenseuse de la Vie, au tonus décapant et à la sensibilité palpable), Robin (troublant Frédéric Pierrot, tout en profondeur dans son désespoir et sa fragilité) et Rose (impressionnante Dominique Valadié, grande faucheuse meurtrie, digne et distante mais déterminée à repartir avec ses proies). Nous nous laissons volontiers cueillir et entreprendre dans cette déroute captivante et sublime à la fois. Elles et il nous subjuguent véritablement par la finesse et la puissance de jeu de leurs personnages.

Un spectacle passionnant. Une pièce coup de poing. Une mise en vie à l’évidence discrète et adroite. Une interprétation de très haut vol. Incontournable !

 

Spectacle vu le 23 septembre 2022

Frédéric Perez

 

De Lucy Kirkwood. Traduction de Louise Bartlett. Mise en scène de Éric Vigner assisté par Alban de Tarlé. Création lumière de Kelig Le Bars. Création son de John Kaced. Costumes de Fanny Brouste. Accessoires et régie générale de Laurent Provost.

Avec Cécile BruneFrédéric Pierrot et Dominique Valadié.

 

 

Du mardi au samedi à 21h00 et le dimanche à 15h00

1 place Charles Dullin, Paris 18ème

01.46.06.49.24  www.theatre-atelier.com

 

Photo © Pascal Gély

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