Wally Valerina Bajeux s’empare de cette pièce prégnante de Grumberg en l’entourant d’une forme de précaution à l’égard du public pour que l’impact et les effets du texte soient reçus pour ce qu’ils sont : une vérité intrusive et cruelle certes mais avant tout une évocation qui ne se veut pas crue, juste présente et implacable. Comme un poème réaliste que la fiction honore, laissant l’imaginaire prendre sa place dans la narration.
« Un fils et un directeur de maison médicalisée s’affrontent autour du personnage central de la maman. Tandis qu’entre le rire et l’oubli elle rassemble les souvenirs de sa mémoire éparpillés par un traumatisme d’enfance, la maman recrée une drôle d’histoire dont il devient impossible de démêler le vrai du faux. Jusqu’à en bouleverser le cours des choses … »
Un magnifique chant du cygne que ces dernières rencontres entre une mère et son fils, dans une maison médicalisée. L’émotion est à fleur de peau et le sourire vient souvent dessiner les lèvres qui s’entrouvrent alors pour laisser s’échapper les rires, sans doute pour ne pas pleurer.
« Votre maman ! » dit le directeur de l’établissement en interpellant le fils, à cinq reprises. Pour se plaindre des faits ou des propos de la mère, comme des adultes pourraient le faire dans un square de quartier où les enfants jouent, crient et chahutent. Les cinq tableaux vont nous permettre de découvrir progressivement au travers de ses réactions, l’écoute attentive du fils pour sa mère, la défense de sa dignité, sa prise en charge comme une femme et non comme une enfant. S’opposant aux ridicules demandes de réprimandes attendues par un directeur dépassé, débordé, juste incompétent, le fils ne fera que démontrer par son attitude ce que bienveillance et bientraitance veulent dire. Il ne montrera pas seulement son attachement aux valeurs humanistes qui relèvent de l’ordinaire mais aussi son amour et un respect profond, une volonté d’accompagner la fin de vie avec affection, patience et attention.
Aussi quand le directeur lui dira : « Votre maman ! Elle est partie mais ne vous inquiétez pas nous la cherchons, les gendarmes aussi, ils ont des chiens »…
NON !... Il ne veut pas, il ne peut pas. Les gendarmes, le bruit des bottes, le bruit des chiens… Réminiscences, enfance, mémoire collective, conscience commune, plaie ouverte, peur sourde…
Bien sûr, la « Maman » n’est pas en état de lucidité, prisonnière d’un passé dont on ne sait pas bien s’il se conjugue au présent ou à l’imparfait du souvenir. Bien sûr… Mais entendre les gendarmes, le bruit des bottes, le bruit des chiens...
La pièce de Jean-Claude Grumberg livre une nouvelle fois un récit où l’émotion, la dignité et la dérision se conjuguent et font bloc comme pour faire reculer le plus loin possible les attaques mortifères de la pulsion de mort au calme latent, prête à bondir, à revenir de l’oubli. Rires et larmes se cachent comme des fantômes dans les ombres des mots et des situations dont nous ne voyons que les résultats sortis du texte par le jeu des comédiens. À noter l’impressionnante interprétation de Marc F. Duret dans le rôle du fils toute en finesse et nuances, aux côtés de Jean-Paul Comart (le directeur) et Colette Louvois (la mère).
La mise en scène de Wally Valerina Bajeux n’encombre pas le texte mais l’enveloppe d’un halo protecteur et velouté, lui donnant des apparences oniriques comme pour nous préserver de l’âpreté et de la dureté de son énonciation. Jusqu’à matérialiser un quatrième mur d’un fin voile permanent pour ne pas nous brusquer tout à fait peut-être, pour nous laisser maitres de filtrer ce que nous recevons. Et paradoxalement, l’ensemble est truffé d’un esprit espiègle quasi burlesque par moments. Toujours cette prévention d’atours bienveillants pour le regard et l’écoute.
Un texte fort et émouvant. Une mise en vie audacieuse et singulière. Un spectacle réussi.
Spectacle vu le 27 septembre 2022
Frédéric Perez
De Jean-Claude Grumberg. Mise en scène et scénographie de Wally Valerina Bajeux, assistée pour la scénographie par Titouan Laporte. Création lumière de Philippe Lagrue. Conception sonore de Jean-luc Pagni. Répétitrice Isabellle Kern.
Avec Marc F. Duret, Jean-Paul Comart, Colette Louvois et en alternance Titouan Laporte, Morgan Costa Rouchy, Mathis Duret
Le mardi à 21h00 et le mercredi à 19h00
78 bis boulevard des Batignolles, Paris 17ème
01.42.93.13.04 www.studiohebertot.com