De quoi pouvons-nous être sûrs, hormis le hasard qui est certainement le plus court chemin pour se laisser prendre ou se délivrer du doute ? Qu’il s’agisse de matérialisme ou d’idéalisme, les relations humaines n’échappent sans doute pas à ce principe, le principe d’incertitude. Principe selon lequel nous pourrions être l’arbre ou le fruit, ou peut-être les deux, de l’improbable conjugaison d’une histoire commune, de rencontres fortuites, de hasards soudains.
« Quand Georgie, américaine délurée de 40 ans, et Alex, anglais discret de plus de 70 ans se rencontrent par hasard sur le parvis d'une gare internationale bondée, leur vie s'en trouve bouleversée à jamais… »
Dans la lignée du courant dramaturgique anglais « Theater In Yer Face », Stephen Simons rejoint Kelly, Kirkwood, Crimp, Kane et les autres pour dire et montrer, façon trash, les aspérités brulantes et les piqures acérées du quotidien, de l’ordinaire, de l’habitus et notamment ici, de l’importance du hasard, de sa conjonction avec l’indétermination des faits produits par l’attirance ou l’intérêt.
Pourquoi la rencontre entre ces deux-là a-t-elle eu lieu et comment la comprendre, l’admettre et se l’approprier ? Et pourtant… Georgie et Alex nous parlent, nous suggèrent, nous rappellent, qui sait ?, à nos souvenirs et à nos désirs voire à nos espérances fantasmées. Un conte ou une fable ? Comme elle est intéressante la fiction romanesque et caustique de cette pièce anglaise significative des pas de coté qui façonnent les destins. Le récit nous surprend par sa simplicité et son épure. La narration nous traverse et nous perd dans son invraisemblable réalisme à la fois naturaliste et suggestif. Sa langue est crue pour stimuler et provoquer l’écoute, mais laisse l’agressivité dans les couloirs de nos affects.
La mise en scène de Louis-Do de Lencquesaing assisté par Margaux Vallé se fait sobre, fidèle à l'esprit de l'argument de la pièce. Grâce au décor stylisé de William Mordos et au velours des lumières de Joël Hourbeigt, de Lencquesaing crée les ambiances qui conviennent et ne peut que confier au jeu d'acteur la primordiale énonciation du texte riche et essentiel de Stephens et à sa mise en vie, qui articulent flux de paroles et lots de silences.
Le spectacle tient sur l'interprétation impressionnante de Jean-Pierre Darroussin. Daroussin est Alex avec une évidence crédible et convaincante. Une incarnation toute en finesses et en émotions dans les propos, les regards mutiques et signifiants, et par-dessus tout dans le portage des situations.
On imagine en écoutant le texte le personnage de Georgie pêchue, hâbleuse et prolixe, désinhibée et provocante, troublée et mystérieuse, cherchant à séduire et se troublant d’être séduite. Un personnage magnifiquement écrit comme celui d’Alex que Daroussin sait rendre complémentaire bien qu’il se trouve à l’antipode de celui de Georgie.
Une pièce de Simon Stephens intéressante et superbement écrite. Jean-Pierre Darroussin y est brillant.
Spectacle vu le 30 septembre 2022
Frédéric Perez
De Simon Stephens. Traduction de Dominique Hollier. Mise en scène de Louis-Do de Lencquesaing assisté par Margaux Vallé. Décor de William Mordos. Lumières de Joël Hourbeigt. Costumes de Jürgen Doering. Musique de Romain Allender (et Jean-Sébastien Bach). Coiffure et maquillage de Cécile Kretschmar.
Avec Jean-Pierre Darroussin et Laura Smet.
Du mercredi au samedi à 20h00
à 21h00 le mercredi à partir du 1er novembre
matinées le samedi à 17h00 et le dimanche à 15h30
31 rue de la Gaîté, Paris 14ème
01.43.22.77.74 www.theatremontparnasse.com