"Maud, reviens un moment, ton père veut te parler. Il rôde et hante parmi ses souvenirs et nous rejoint pour les raconter. Pour toi d’abord et pour nous aussi…"
« Seul en scène, depuis son pays des morts, Max Linder s’adresse à Maud, sa fille de seize mois. Il lui raconte tout : ses grandeurs et ses démons, ses films »
C'est ainsi que le spectacle sera ponctué d'adresses à sa fille, aujourd’hui disparue, tout le long de cette impressionnante narration documentée de Max Linder, écrite et mise en scène par Stéphane Olivié Bisson.
Un récit de vie incarné au sens littéral du terme par Jérémy Lopez, sociétaire de la Comédie-Française. Un comédien de toute splendeur. Jérémy Lopez ne joue pas, il est Max Linder. Incroyable et magique interprétation d’une intensité et d’une vibration stupéfiantes. Une sensibilité à fleur de peau court tout le long. Un jeu rare tant il est nuances et tant il peut devenir violences, qui nous montre les meurtrissures profondes à jamais béantes, pour toujours gravées dans la mémoire qui revient, de cette figure emblématique du cinéma muet, immense et illustre gloire déchue du début du cinématographe.
« 1905, studios Pathé, l’acteur de théâtre Max découvre le cinéma, art naissant. Révélation et frénésie, il tourne cinq cents films, s’exporte à Hollywood, devient l’égal voire le « professeur » de Charlie Chaplin. Jaquette, chapeau de soie, haut de forme, souliers vernis et gants de noce, il invente l’élégance comique du dandy, parfait et désopilant gentleman »
Comme il l’a fait pour Camus avec ses Carnets, Stéphane Olivié Bisson a cette intuition géniale de faire revivre, le temps d’égrener les bribes essentielles de la vie de Gabriel-Maximilien Leuvielle dit Max Linder, le célèbre inconnu qui inspira le personnage de Charlot à Chaplin et marquera nombre de figures comiques qui lui ont succédé, de Pierre Étaix aux Marx Brothers, entre autres.
Nous voici emportés dans un parcours de vie captivant, magnifié par son interprétation. Nous cheminons parmi les peurs, les doutes et les réussites aussi de l’artiste et de l’homme, du père empêché. Nous revivons avec lui ses joies et ses peines, ses souffrances que sa secrétaire qualifiera « des pires parce que peut-être imaginaires ». Et nous apprenons sans l’accepter l’oubli « douloureux et injuste » dans lequel on a jeté son histoire et son œuvre en grande partie détruite.
C’est un moment éblouissant que ce rendez-vous avec Max Linder, génie artistique, que la folie a emporté pour son dernier refuge vers le pays qu’il habite désormais, « le pays de l’oubli et de la nostalgie ».
Voici un spectacle prégnant, richement documenté et soigneusement peaufiné, et surtout, surtout, magistralement interprété par Jérémy Lopez. Un magnifique et mémorable moment de théâtre. Une incontournable découverte que je recommande vivement !
Spectacle vu le 20 septembre 2022
Frédéric Perez
Écriture et mise en scène de Stéphane Olivié Bisson. Scénographie de Erwann Creff. Lumières de Bertrand Couderc. Vidéo de Allan Hove et Kristijonas Dirse. Musique originale de Éric Capone.
Avec Jérémy Lopez de la Comédie-Française.
Jusqu’au 9 octobre
Du mardi au samedi à 20h30 et le dimanche à 15h30
2 bis avenue Franklin Roosevelt, Paris 8ème
01.44.95.98.00 www.theatredurondpoint.fr