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Voici un spectacle vivace et ardu, captivant et envoutant où Sylvain Maurice met en vie, avec une approche quasi diabolique toute en finesse, la pièce de Martin Crimp. Nous sommes embarqués aussitôt dans une surprenante narration de récits juxtaposés qui décapitent la stabilité ordinaire d’une histoire amoureuse, ébranlent les formats du couple et bousculent les liens affectifs habituellement exposés.

« Richard, médecin, et sa femme Corinne ont quitté Londres pour s’installer à la campagne. Tandis que Corinne s’acclimate à cette nouvelle vie avec leurs deux enfants, Richard enchaîne les visites à domicile chez ses patients. Un soir, il rentre à la maison en portant dans ses bras une jeune femme inconsciente prénommée Rebecca. Cette jeune femme, qu’il dit avoir trouvée étendue sur le bord de la route, va semer le doute et révéler les fractures du couple. »

Crimp autopsie le couple, fait surgir de ses entrailles l’espace transitionnel et sacré qui lie le rapport entre soi et l’autre ; entre l’intime et le social ; entre le non-dit, le suggéré et le dit, le ressenti.

Son théâtre se rapproche, une nouvelle fois, du « néo-brutalisme » du théâtre britannique In-Yer-Face où la provocation se marie à l’âpreté des situations décrites ou suggérées par le langage parlé plus que dans les scènes jouées, où la violence rampe sourdement.

La tension s’impose immédiatement dans les échanges, percutant notre écoute, stimulant notre quête de sens et d’indices dans ces bouts d’histoire, placés en parallèle, d’une intrigue qui ne l’est pas. Le doute perdure, entre peurs et soupçons, entre paradoxes et mensonges.

Un huis-clos qui instille une anxiété dans notre attention.

L’écriture abondante, fournie et fouillée fait se chevaucher les questions sans réponses, les réponses à d’autres questions, les interjections éclatantes de fureur semant le trouble et laissant planer un sentiment de terreur.

La mise en scène de Sylvain Maurice assisté par Béatrice Vincent, se révèle habile par une approche simple et claire permettant de faire ressortir la percussion des propos, leur perversité intrinsèque et leurs effets déroutants. Maurice construit le labyrinthe de sens voulu par Crimp. Sa scénographie, réalisée en collaboration avec Margot Clavières, contribue à une esthétique soignée et colorée (lumière de Rodolphe Martin), agréable et douce, qui vient en contrepoint de la cruauté des propos, de l’étrangeté féroce des récits, et du désarroi qui nous ravit.

L’intensité des situations évoquées et leur troublant floutage tissent peu à peu un univers énigmatique que l’ambiance sonore de Jean De Almeida appuie ardemment et que les comédiens s’approprient formidablement.

Les personnages, décrits certes avec précision par le texte et la direction de jeux, sont incarnés magistralement.

Isabelle Carré est Corinne, une épouse troublante : inquiète et épanouie, amoureuse et libérée, nerveuse et froide, une interprétation tout en subtilité.

Yannick Choirat est Richard : puissant et fragile, dérouté et déroutant, énigmatique à souhait. Une interprétation tout en puissance.

Manon Clavel est Rebecca : trublionne de la norme, légère et funeste, perfide et attachante. Une interprétation tout en nuances.

Un spectacle imposant et impressionnant. Une mémorable proposition du théâtre de Martin Crimp. Une mise en vie captivante. Trois rôles, trois partitions, trois interprétations convaincantes et complémentaires, un pur délice de jeux. Un spectacle que je conseille vivement.

Spectacle vu le 22 novembre 2022

Frédéric Perez

 

De Martin Crimp. Traduction de Philippe Djian. Mise en scène de Sylvain Maurice assisté par Béatrice Vincent. Collaboration artistique de Julia Lenze. Scénographie de Sylvain Maurice en collaboration avec Margot Clavières. Lumière de Rodolphe Martin. Costumes de Olga Karpinsky assistée par Lucie Guillemet. Son de Jean De Almeida. Régie générale de André Neri.

Avec Isabelle Carré, Yannick Choirat et Manon Clavel.

 

 

Mercredi 23 à 20h30, jeudi 24 à 19h30,

vendredi 25 à 20h30 et samedi à 18h00

Place Jacques Brel, Sartrouville (78)

01.30.86.77.79  www.theatre-sartouville.com

 

Photo © DR

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