Zoo Story au théâtre de Poche Montparnasse

Voici un opus réussi et formidablement joué de la célèbre pièce de Edward Albee. Aussi finement soigné que spectaculairement percutant.

Première pièce de Edward Albee, écrite en 1958, Zoo Story demeure aujourd’hui encore une œuvre emblématique de la narration dramaturgique teintée d’existentialisme et voletant autour de la cruauté des non-sens de la vie, de la solitude aliénante et de la communication tronquée. La traduction et la mise en scène de Pierre Val font ressortir avec force et perspicacité la valeur des messages portés.

« En plein Central Park, deux inconnus se rencontrent sur un banc. Jerry tient coûte que coûte à raconter à Peter ce qui lui est arrivé au zoo. Mais petit à petit cette conversation du dimanche s’enlise dans des eaux obscures et Peter se retrouve pris dans la spirale inextricable des questions et des confidences de son interlocuteur. Comment sortir vivant de cette jungle existentielle ? »

Mais qui sont donc ces deux spécimen. Peter ? Un pur produit de la bourgeoisie américaine des années 50, un homme comme-il-faut, à la bienpensance débordante bardée de savoir-vivre. Jerry ? Un homme ordinaire qu’on ne remarque pas sans doute au premier abord, qui est bien cet homme solitaire et névrosé, atteint de logorrhée persistante. Ces deux-là n’auraient dû jamais se rencontrer et pourtant.

Mais heureusement Albee y a veillé et nous dépeint dans une fresque quasi surréaliste, leur confrontation devenant peu à peu une joute formidable. Une sorte de valse dévastatrice prise dans un emballement progressif. Un espace-temps où les pas de côté se multiplient, où les propos deviennent saillies percutantes et incisives, où les piques pointées sont trempées dans le fiel du ressentiment et du doute. La tension monte au fur et à mesure que Jerry révèle ses frustrations, ses haines et ses rancœurs, son aversion envers la société et les gens qui l'entourent. De la marginalité de Jerry à la normalité de Peter, que restera-t-il après ce « combat » ?

La mise en scène de Pierre Val expose le récit au regard et à l’écoute en jonglant avec les situations, les répliques et surtout les silences. Tout prend sens et s’inscrit dans un paysage sonore et visuel prégnant et vivant, qui laisse tout le champ libre à l’imaginaire du spectateur, à son attention et à ses sensations. Il y a dans cette forme une remarquable épure signifiante. Un très beau travail de mise en vie mais surtout une extraordinaire interprétation, vraiment impressionnante.

Les jeux généreux et entiers de Sylvain Katan et Pierre Val donnent à leurs personnages des lignes de fuite et de destinée que l’on ne voit pas venir. Ils nous captent très tôt et ne nous lâchent pas. Ils servent tous les deux et dans une complémentarité remarquable le texte très habile de Albee. Nous sommes pris et surpris, tenus en haleine par cette admirable prestation. Un formidable moment de théâtre d’acteurs.

Un spectacle mémorable pour découvrir ou retrouver cette pièce superbe. Une mise en scène savoureuse et savante. Une interprétation exemplaire et littéralement captivante. Véritablement un incontournable spectacle !

Spectacle vu le 9 septembre 2023

Frédéric Perez

De Edward Albee. Mise en scène et traduction de Pierre Val. Lumières de François Loiseau.

Avec Sylvain Katan et Pierre Val.