Cinq femmes d’une même maisonnée dans une campagne éloignée. Cinq femmes, de la plus vieille à la plus jeune, qui attendent le retour du jeune fils parti après une dernière altercation violente avec le père, il y a longtemps déjà. Tellement longtemps que leurs vies semblent s’être construites autour de cette attente. Elles attendent depuis longtemps comme une attente depuis toujours.
Le père est mort désormais. Elles disent que le jeune homme est revenu, là, aujourd’hui. Revenu épuisé, pour mourir peut-être ou pour s’expliquer, on ne sait pas, on ne sait plus.
Mais est-il là ? De la maison en coupe, on voit bien sa chambre à l’étage, son lit est fait, vide. Elles racontent comment elles l’ont accueilli et installé dans sa chambre. Elles disent qu’il n’a rien dit. Alors, en attendant qu’il parle enfin, elles parlent.
Mémoires de mille morceaux mélangés aux parcelles de désirs et de regrets, de remords aussi. Pluie attendue, pluie de larmes, pluie d’oraison, ce grandiose et troublant récit-poème du temps qui a passé, du temps qui est perdu, touche au plus profond de l’affect, laissant au public le soin de nouer ses propres liens avec ce qui est dit, suggéré, imaginé.
La pièce est créée en 1997. Nous retrouvons la langue de Jean-Luc Lagarce, saccadée, directe et rebondissante. Elle construit ici encore des images et des doutes autour d’elle, permettant aux pensées et aux fantasmes de s’y lover, comme pour mieux protéger ou oublier l’attente, ronger ou installer le souvenir, laisser s’échapper la rancœur et la culpabilité.
La mise en scène de Chloé Dabert colore d’une parfaite sobriété les jeux, donnant toute l’importance à la parole, d’une fluidité et d’une expressivité inouïes et percutantes. La simplicité et la clarté de la scénographie de Pierre Nouvel, d'une beauté blanche magnifique et sans effets inutiles, centre notre attention sur ce qui est dit et ressenti, sur ce qui est joué.
Les cinq comédiennes Cécile Brune, Clotilde de Bayser, Suliane Brahim, Jennifer Decker et Rebecca Marder, font de ce texte un bain d’émotions. Chacune joue chaque situation, du monologue à l’échange, avec une précision implacable et une intériorité impressionnante. C’est d’une incroyable intensité. Nous sommes profondément touchés par cette douleur incommensurable qui habitent ces cinq femmes et ce chagrin à fleur de peau qui les fait réagir avec une ardeur meurtrie et une colère indignée.
Un spectacle d’une sensibilité extrême qui fait la place belle au texte de Lagarce. Une pièce magistralement jouée. Une leçon de théâtre.
Une pièce de Jean-Luc Lagarce. Mise en scène de Chloé Dabert. Scénographie de Pierre Nouvel. Costumes de Marie La Rocca. Lumières de Kelig Le Bars. Musique de Lucas Lelièvre. Collaboration artistique de Sébastien Eveno.
Avec les comédiennes de la troupe de la Comédie-Française : Cécile Brune, Clotilde de Bayser, Suliane Brahim, Jennifer Decker et Rebecca Marder.
Du mercredi au samedi à 20h30
Le mardi à 19h00, le dimanche à 15h00
21 rue du Vieux-Colombier, Paris 6ème
01.44.39.87.00 www.comedie-francaise.fr