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Plaidoyer pour l'émancipation féminine cruellement efficace et toujours aussi actuel, cette pièce écrite par Henrik Ibsen en 1879 à partir de l’histoire vraie de Laura Kieler est un drame psychologique situé dans la société bourgeoise de la fin du 19ème siècle en Norvège. Elle dénonce avec audace pour l'époque la condition des femmes soumises au bon vouloir des hommes. Son écho aujourd'hui est cinglant d'actualité.

Ibsen écrit à son propos dans ses « Notes pour une tragédie contemporaine » : « Une femme ne peut pas être elle-même dans la société contemporaine, c'est une société d'hommes avec des lois écrites par les hommes, dont les conseillers et les juges évaluent le comportement féminin à partir d'un point de vue masculin ».

L’universalité d’un tel constat, son intemporalité, posent la question de la cause humaniste comme fondement de tout œuvre progressiste dans l’action artistique et politique luttant pour l’émancipation des individus et leur égal droit à l’accès au bonheur.

Dans son adaptation de la pièce, Philippe Person, qui signe aussi la mise en scène, centre tout le propos théâtral sur ce qui semble l’essentiel dans le théâtre d’Ibsen : dépeindre la société telle qu’elle est pour démontrer la réalité de ses contours liberticides, des abus du pouvoir des dominants, des injustices sociales. Ce choix ose l’épure. Nous ne sommes en présence que des quatre personnages principaux, dans un décor dépouillé, avec des effets sonores et visuels savamment placés pour accompagner l’intensité des jeux et la force des messages. Un travail d’orfèvre dans les ciselures qui portent ainsi avec une vigueur farouche et nécessaire la cause humaniste, annonçant le féminisme, développée par Ibsen.

Nora Helmer, jeune épouse de Torvald Helmer, mère de leurs trois enfants, a contracté une dette importante auprès de Nils Krogstag pour permettre de payer les soins que la maladie de son mari nécessitait alors. Krogstag menace de montrer la lettre de créance à Torvald. Kristine Linde, amie d’enfance de Nora, réapparait dans la vie de Nora et lui offre une écoute confidente. Mais les faits et les situations vont conduire Nora à entreprendre, sans l’avoir préméditer, une remise en question de sa condition, une prise de conscience des chaines qui entravent sa liberté.

Combat de l’amour contre la raison. Explosion des carcans de la morale. Refus d’une subordination subie. Autant de lumières qui viennent éclairer Nora et la conduiront à réagir. Passé-présent-avenir, Nora vit ces trois temps comme une création de sa renaissance libératrice. L’enfant soumise qu’elle était rencontre la peur des réalités qu’elle découvre et choisit pour la première fois son destin. Le destin d’une adulte devant affronter les obstacles de la l'ordre moral, de la bienséance et de la soumission pour devenir l’être humain qu’elle cherche en elle avant la femme qu’elle deviendra.

Florence Le Corre joue une Nora insouciante, sensible, troublée puis forte avec une émotion qui nous saisit, une beauté des sentiments qui nous éblouit. Elle nous touche lorsqu’elle parle de son amour perdu et de sa conscience naissante qui la rendra forte. Une magnifique Nora toute en délicatesse vibrante.

Philippe Calvario joue Torvald avec brio. Il le rend détestable dans sa domination crasse et dans son amour-propre qu’il place avant l’amour pour cette femme qu’il regarde comme une mère et une amante, pas comme son égale. Puis il nous émeut du trouble qui l’envahit devant Nora qui devient autre. Ibsen dit de Torvald qu’il est « un homme moralement perdu ». Calvario est cet homme. Une puissance et une finesse de jeu impressionnantes.

Nathalie Lucas est Kristine, elle campe simplement et farouchement cette femme d'honneur et d'amitié. Une interprétation juste et convaincante, apaisante même dans ce tourbillon d'agressivité ambiant. Philippe Person est Nils, il joue avec intensité et précision cet homme marqué de brisures profondes, avec la violence scélérate du désespoir puis la rédemption provoquée par le sentiment amoureux. Ces deux personnages en contrepoint de la partition sont mis en valeur de façon remarquable, avec un engagement total et une sincérité troublante nous montrant leurs batailles pour la reconnaissance sociale et identitaire.

Une superbe interprétation et une adaptation inédite, audacieuse et réussie. Un spectacle éblouissant d’intelligence et de finesse. Ne ratez pas cet admirable petit bijou théâtral que je recommande vivement.

Spectacle revu le 9 avril 2022

Frédéric Perez

 

De Henrik Ibsen. Traduction de Régis Boyer. Adaptation et mise en scène de Philippe Person. Lumière d’Alexandre Dujardin. Décor de Vincent Blot.

Avec Philippe Calvario, Florence le Corre, Nathalie Lucas et Philippe Person.

 

Jusqu'au 22 mai

Du jeudi au samedi à 21h00 et le dimanche à 17h00

7 rue Véron, Paris 18ème

01.42.33.42.03  www.manufacturedesabbesses.com

 

Photo © Pierre François

Photo © Pierre François

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