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Quel moment de théâtre prégnant et captivant, drôle et tragique à la fois ! Alain Françon nous offre ici une version léchée, toute en finesse de représentation. Version éblouissante de limpidité pour cet obscur objet de diversion de sens et de repères qu’est cette pièce considérée comme l'un des textes les plus importants du théâtre moderne, emblématique du travail de Samuel Beckett.

Depuis sa création en 1953, scandale devenu triomphe, son épopée poursuit à travers le monde son chemin de découvertes toujours renouvelées, illustré par de nombreuses approches qui ne cessent d’interroger la raison et l’émotion qui ressortent de ce chef-d'œuvre théâtral labyrinthique.

« Vladimir et Estragon, quelque part à la campagne, à côté d’un arbre, le soir, attendent Godot dont on ne sait rien. Ils n’en savent pas grand-chose non plus et ne se rappellent plus vraiment pourquoi ils l’attendent. Et en attendant, ils discutent, se livrent à diverses activités, considèrent l’arbre, le ciel, l’un sa chaussure et l’autre son chapeau, à un moment Pozzo et Lucky passent…»

L’univers de cette narration qui n’en finit pas de tisser son suspens est composé d’un décor intentionnellement minimal et désolé (ici grisâtre même), comme le souhaite l’auteur. Décor rehaussé toutefois par des accessoires (les chaussures, les chapeaux, la pipe, le fouet, la corde, le panier, la valise…) qui appuient là où c’est incongru, pour échapper sans doute à la routine de l’écoute et parsemer notre regard de ruptures ironiques voire sarcastiques. Les objets occupent là encore une place particulière et importante. Ce sont des enjeux narratifs permanents, étroitement associés à la gestuelle, à la parole et à la situation. Eux aussi sont des acteurs essentiels de la dramaturgie.

Une fois plongés dans ce récit abscons, entrepris par des personnages envoutants et déroutants à la fois, il y a comme un délice à se laisser porter par ce flux de paroles désenchantées, d’images confondantes de simplicité résignée, dans cet ailleurs qui ne peut trouver sens en lui-même et qui casse toute velléité de signification. Cette fameuse vacuité de la vie si chère aux dénonciations présentes dans la littérature beckettienne.

Et toujours, ce jeu de miroir, ce méta-théâtre qui donne aux personnages l’occasion de sortir tout à coup de l’illusion fictionnelle et de commenter ce qu’ils disent et ce que les comédiens font, de multiplier les adresses au public. Comme souvent chez Beckett, le 4ème mur se doit d’être fragile et poreux. (« Ça passera le temps », « comment m’as-tu trouvé ? », « ceci devient vraiment insignifiant ».)

La mise en scène d’Alain Françon montre formidablement bien comment les personnages de Beckett sont révoltés et résignés à la fois, confrontés à l’ignorance confuse et récurrente du temps qui passe et qui est passé, meurtris par l’insignifiance et la déroute de leurs vies. Nous sommes face à une forme d’onirisme gris qui envahit le plateau et le récit. Estragon et Vladimir sont tout en nuances de gris vêtus. Un gris de désolation que seules viennent contrarier les couleurs des costumes de Pozzo, Lucky et du garçon, apportant une luminosité cocasse comme autant de perles d'espoirs impromptus et vains.

André Marcon (Estragon) et Gilles Privat (Vladimir, monsieur Albert) excellent véritablement. Ils donnent une évidence au texte avec brio, s’en emparent avec une sorte de gourmandise qui attise notre curiosité, leur attente de Godot et leur errance deviennent nôtres, nous sommes saisis.

Guillaume Lévêque (impérieux Pozzo), Éric Berger (très agile Lucky), Antoine Heuillet (impeccable garçon) ne sont pas en reste et apportent une crédibilité convaincante à l’ensemble de cet aréopage farouchement irréaliste et pourtant joué avec tout le naturalisme beckettien qui convient.

Un spectacle impressionnant, une magnifique prestation de comédiens, un « Godot » mémorable à n’en pas douter. Courez-y !

 

Spectacle vu le 8 février 2023

Frédéric Perez

 

Texte de Samuel Beckett. Mise en scène de Alain Françon assisté par Franziska Baur. Dramaturgie de Nicolas Doutey. Décor de Jacques Gabel. Lumière de Joël Hourbeigt. Costumes de Marie La Rocca. Collaboration chorégraphique de Caroline Marcadé. Maquillage et coiffures de Cécile Kretschmar.

Avec Gilles Privat (Valdimir, monsieur Albert), André Marcon (Estragon), Guillaume Lévêque (Pozzo), Éric Berger (Lucky) et Antoine Heuillet (Un garçon).

 

 

Du mardi au samedi à 21h00 et le dimanche à 17h00

13 boulevard de Strasbourg, Paris 10ème

01.40.03.44.30  www.lascala-paris.fr

 

Photo © Thomas O'Brien

Photo © Thomas O'Brien

Photo © Jean-Louis Fernandez

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Photo © Thomas O'Brien

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