Un Feydeau bouillonnant et très drôle, au rythme échevelé d’une mise en vie astucieuse, aux délices plein de surprises d’une interprétation d’excellence.
« Émilienne, la jeune épouse de Trévelin découvre que son mari la trompe. Elle décide alors de prendre sa revanche et de devenir pour un soir ’’une cocotte’’ »
Avec cette dernière pièce inachevée de Feydeau dans laquelle une forme de condensé des idées majeures de la dénonciation sociale du grand vaudevilliste resplendit de vigueur et de verve, Jean-Paul Tribout nous gatte. C’est succulent, sa mise en scène très inventive nous ravit.
Toute en beauté façonnée, une construction de caissons figure les espaces de jeu. Même Dario Ivkovic s’y tient debout pour jouer de son accordéon et de sa bonne mine rieuse ! Les personnages vont et viennent, entrent et sortent de ces caisses-refuges ou ces caisses-carcans comme pour figurer les secrets qui s’y cachent avant d’y être surpris ou les pièges dans lesquels elles et ils se trouvent emprisonnés.
Comment ne pas penser au symbolisme que suggère ce dispositif ? Menteries éhontées de la morale bourgeoise, place de relégation faite aux femmes dans le couple et la société, soumission des petites gens au rang des moins que d’autres…
Mais tels ces petits diables qui sortent de leurs boites, chers aux enfants, nous pouvons imaginer sans peine les allusions bienvenues au redressement de situations, aux niques affligées au pouvoir dominant. Quelle belle idée de traverser ainsi de ludique l’écriture de Feydeau qui ne demande que ce type d’écrin à ses sarcasmes et son ironie revancharde et vengeresse.
Car Émilienne, ce n’est pas pour dire, mais elle dépote le cocotier. Elle renverse la table. Elle s’amuse comme une Amazone qui fait la guerre. Elle démontre avant l’heure par la preuve que la femme est l’avenir de son émancipation !
La scénographie de Amélie Tribout, les lumières de Philippe Lacombe, les costumes de Julia Allègre et la musique live de Dario Ivkovic composent une esthétique d’ensemble soignée et cohérente qui donne au spectacle des atours aussi beaux qu’efficaces.
Pour ce savant élan feydolien, un exemple du genre de mon point de vue, il fallait une distribution impeccable, nous l’avons ! Caroline Maillard est tout simplement remarquable dans son incarnation d’Émilienne. Elle compose avec Jean-Paul Tribout, le magnifique Trévelin, un couple crédible et convaincant. Claire Mirande, Julie Julien et Samuel Charle sont eux-aussi criant de vérité et de drôlerie. La sincérité et la clarté des jeux, leur vivacité et leur justesse contribuent à l’interprétation impressionnante de cette troupe très inspirée et qui s’amuse autant que nous. Chapeau bas mesdemoiselles et messieurs !
Un Feydeau mémorable. Une très bonne surprise de la saison. Un spectacle incontournable.
Spectacle vu le 21 avril 2023
Frédéric Perez
De Georges Feydeau. Mise en scène Jean-Paul Tribout. Assistanat à la mise en scène de Xavier Simonin. Scénographie de Amélie Tribout. Lumières de Philippe Lacombe. Costumes de Julia Allègre. Musique de Dario Ivkovic.
Avec Caroline Maillard, Claire Mirande, Julie Julien, Samuel Charle et Jean-Paul Tribout.
Du mardi au samedi à 18h30 et le dimanche à 15h00
53 rue Notre-Dame-des Champs, Paris 14ème
01.45.44.57.34 www.lucernaire.fr