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Je dis ça, j’dis rien mais il semble que travailler au septième étage d’un immeuble qui s’écroule est plus avantageux. Non pas pour la vue ou le confort mais pour le risque moindre de tomber tout à trac. Si jamais…

« Au septième étage, dans des bureaux dont il ne reste rien, ni cloisons ni fenêtres, deux individus se plient aux lois de la hiérarchie. Tout autour d’eux est tombé, un tremblement de terre, un virus, une catastrophe ou un conflit mondial, peu importe. Un monde en ruines, et dépeuplé. Mais ils sont là, ils poursuivent, ils continuent le travail, tentent de produire du travail dans le vide et entourés de trous. Ils se soumettent aux rôles professionnels, le pouvoir et l’immunité du supérieur, et la servilité et l’irresponsabilité de la subalterne. »

« Ceux-là auraient continué à faire leur travail, à faire du travail, à tenter de produire du travail » indique le prologue dit en voix off par Pierre Notte.

Un cadre supérieur et son assistante se retrouvent face à face, isolés du monde qui était le leur avant, semblant obligés de faire comme si tout continuait, là, ici et maintenant, alors qu’ils sont en survie sur un morceau d’étage pas encore tombé. Pourquoi donc le font-ils ? exister encore ? oublier leur sort ? On ne sait pas. Ce qui est certain, c’est qu’ils ne semblent pas se préoccuper des causes de la catastrophe mais qu’ils s’emparent plutôt des effets, tentant de poursuivre comme avant.

Ce texte de Pierre Notte, désormais célèbre et sans doute bientôt futur classique du théâtre contemporain, dépeint avec vigueur et cruauté le « monde » du travail. Les interrelations sociales, les habitus, le rapport à la production, le dévouement aveugle à la norme et à la hiérarchie destructrice, prescrite voire autoprescrite.

Narquoise et bien tournée, l’écriture regorge de situations incongrues, cyniques et crues mais toujours étonnamment réalistes. Des dialogues saillants et drôles piquent et touchent. Le tout, dans une scénographie dépouillée, formalisée simplement par un rectangle de rubalises posées au sol dans lequel les personnages évoluent sans aucun autre accessoire. Une scénographie juste troublée par des moments suspendus où des gestes, des mouvements, des « arrêts sur images » ponctuent la narration comme pour la colorer d’un onirisme qui vient adoucir l’impression de huis clos. Mais huis clos il y a. La sensation d’enfermement des protagonistes passe la rampe et nous atteint, fleurant l’oppression de l’écoute et du regard.

La mise en scène et la direction des jeux sont d’une précision remarquable. Déplacements au cordeau. Cadence et rythme des répliques soutenus. La création lumière de Antonio de Carvalho valorise toutes les situations avec efficacité. Une esthétique d’ensemble impressionnante.

Clara de Gasquet et Julian Watre s’investissent de bout en bout dans cette joute verbale dénuée de fin possible et offrent avec puissance un jeu généreux, très incarné chez elle. Ils forment un duo cohérent et crédible.

Un spectacle détonant mis en vie ingénieusement, avec finesse et subtilité, et joué avec nuances et éclats. Un bon moment de théâtre.

Spectacle vu le 27 mai 2023

Frédéric Perez

 

Texte et mise en scène de Pierre Notte. Lumières : Antonio de Carvalho.

Avec Clara de Gasquet et Julian Watre.

 

Du mercredi au samedi à 19h00

7 rue Véron, Paris 18ème

01.42.33.42.03 www.manufacturedesabbesses.com

 

© Laiglon

© Laiglon

© Laiglon

© Laiglon

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