Un spectacle comme un fantasme réaliste et éthéré à la fois qui sert sobrement mais utilement cette pièce de Harold Pinter qui s’empare à nouveau ici des ravages de l’habitus dans les relations amoureuses, les tourne et les retourne pour en disséquer les conventions bienséantes et les vices cachés. Désir et domination s’opposent et se conjuguent tout le long n’ayant de cesse de nous surprendre.
« Comme chaque matin, Richard part travailler dans la City et laisse Sarah, sa femme, dans la maison de banlieue du couple heureux qu’ils forment. Avant de quitter la maison, le mari demande à sa femme, sur un ton qui peut sembler badin, si elle doit recevoir son amant dans la journée. Ce à quoi Sarah répond par l’affirmative. Quand, en matinée, on sonne à la porte, ce n’est pas l’amant, mais un simple livreur qui s’éclipse aussitôt. Pourtant, l’amant se présente bel et bien dans l’après-midi. »
Le texte est magistralement diabolique, les motivations des personnages s’embrouillent, on ne sait plus assurément qui est qui et qui fait quoi. On se laisse porter aisément par ce doute incongru et savoureux. La dérision quasi surréaliste nous intrigue et l’humour piquant la colore.
La mise en scène de Ludovic Lagarde se fait sage, un rien académique, laissant à la langue singulière de Pinter prendre totalement le pas et à l’imaginaire du spectateur, se glisser dans son univers. Le texte est finement restitué, son ambigüité et ses décalages, sa profondeur et son mystère.
Guillaume Constanza joue le rôle du livreur, apportant sa contribution crédible dans ce monde étrange. Valérie Dashwood et Laurent Poitrenaux campent Sarah et Richard avec adresse et subtilité, mettant toute la puissance de jeu nécessaire mais aussi moult nuances dans cette joute conjugale qui se détruit et se recompose, se fait et se défait des normes et de leurs conventions. Le trouble digne et nonchalant des personnages et l’étrangeté des situations sont parfaitement rendus. Le désir sans renoncement, simplement et vivement incarné.
Un spectacle captivant par son récit qui se dérobe et se transforme sans cesse. Une mise en vie auguste. Une interprétation brillante.
Spectacle vu le 9 juin 2023
Frédéric Perez
De Harold Pinter. Traduction de Olivier Cadiot. Mise en scène de Ludovic Lagarde Assisté par Élodie Bremaud. Lumière de Sébastien Michaud. Scénographie de Antoine Vasseur. Costumes de Marie La Rocca assistée par Noémie Reymond. Réalisation Sonore de David Bichindaritz. Conception vidéo de Jérôme Tuncer. Habilleuses Florence Messé et Noémie Reymond. Maquilleuses Mytil Brimeur, Juliette Hui et Charlène Torres. Régie générale François Aubry et Corto Tremorin. Construction du décor Atelier Du Grand T – Nantes.
Avec Valérie Dashwood, Laurent Poitrenaux et Guillaume Constanza.
Du mardi au samedi à 19h00 et le dimanche à 15h00
Place Charles Dullin, Paris 18ème
01 46 06 49 24 www.theatre-atelier.com