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Devant nous, les pensées d’une femme, projetées sous les faux semblants d’une fantasmagorie trouble de rêves éveillés. Nous voyons au travers des propos entendus et des situations présentées ce qui pourraient être le reflet de l’absence, d'un vide étouffant ou d’un trop-plein évité, on ne se sait pas vraiment. Ce dont nous sommes témoins, ce sont les restes de cette vie normée qui a éclaté en fragments d’espoirs et en morceaux d’oubli, charriant la douleur de l’abandon et les souffrances du manque.

« Camille, assise sur un ponton au bord de la mère, raconte sa fuite. Elle dit avoir quitté sa famille - son compagnon Marc et leurs deux enfants Lucie et Paul. Elle dit revenir là où ils ont vécu. Elle imagine leur vie sans elle. »

L’écriture de Claudine Galea offre par sa structure originale qui fait fi de toute chronologie, des entrées multiples à nos sensations, à notre réflexion et à nos projections intimes. L’émotion est à fleur de mots ou surprise par les regards, souvent nichée dans des silences explicites. Le récit se fait labyrinthique et nous mène de bout en bout dans un suspens flouté aux aspects oniriques. Tout un jeu entre regrets et choix, entre réalités et souvenirs, se déploie et vient nous toucher comme le ferait sans doute une déclaration singulière d’amour anachronique. L’écriture est composée de réminiscences parcimonieuses dites en direct ou en voix off, de scènes passionnées ou de longues logorrhées narratives prenant parfois les allures de slam. Un texte très rythmé que la mise en scène reprendra et que l’interprétation portera avec une justesse délicate et précise.

La mise en scène de Sandrine Nicolas joue avec l’image, la colorant d’un univers musical prégnant. Les effets combinés de miroirs et de lumières nous font passer de scènes réalistes à d’autres plus irréelles avec une fluidité douce et lascive. Les personnages s’expriment entre paroles et déplacements dans des mouvements à la corporalité stylisée, à la manière de danses lentes sur fond d’aquarelles qu’on imagine.

Le texte et sa mise en vie composent un ensemble détonant et éthéré. Nous sommes en permanence dans un présent instable, pris entre un passé incertain et un futur à définir. Les comédiens nous embarquent dans ce voyage, nous les suivons avec curiosité et plaisir.

Françoise Gillard est une lumineuse Camille, bouleversante et proche. Pierre Louis-Calixte est remarquable, il campe Marc, homme éperdu et perdu, à l’affectivité palpable. Adrien Simion joue avec engagement Paul, l’enfant qui souffre et qui espère. Léa Lopez, elle aussi remarquablement convaincante, est Lucie, l’adolescente prise dans ce labyrinthe de doutes. Illusions ou réalités, peu importe, ces quatre-là nous parlent d’amour. Qu’ils chuchotent ou disent, qu’ils chantonnent ou psalmodient, qu’ils slament ou dansent, dans le cri ou le murmure, dans le regard ou le silence, ces si tendres liens nous troublent et nous touchent.

Voici un formidable et intrusif récit, une histoire énigmatique qui nous interroge sur les brisures de la vie, les saveurs et les maux des souvenirs, les forces de l’attachement. Je conseille vivement ce moment de théâtre prégnant, cette plongée dans une poétique de l’intime admirablement interprétée.

 

Spectacle vu le 28 septembre 2023

Frédéric Perez

 

 

De Claudine Galea. Mise en scène de Sandrine Nicolas. Scénographie et costumes de Aurélie Thomas. Lumières de Charlotte Poyé. Musique originale de Théo Girard. Son de Julien Reboux. Travail chorégraphique de Ingrid Estarque.

Avec la troupe de la Comédie-Française : Françoise Gillard, Pierre Louis-Calixte, Adrien Simion et Léa Lopez.

 

 

Jusqu’au 29 octobre

Du mercredi au dimanche à 18h30

Carrousel du Louvre, Paris 1er  

01 44 58 15 15 www.comedie-francaise.fr

 

Photos © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française
Photos © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française
Photos © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française
Photos © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

Photos © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

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