Un spectacle aux allures d'une installation théâtrale et plastique burlesque et onirique, composé de narrations inachevées aux formes variées laissant toute la place à notre imaginaire. Un spectacle cocasse et surprenant dès la scène d'exposition qui nous conduit vers des récits qui se devineront plus qu'ils ne seront contés.
« Un harpon, le mur des jubilations, des agrafes, des femmes fuyant la musique sacrée, deux petits seins tranchés. ‘‘Je suis je ne sais qui... je meurs je ne sais quand... je m'étonne d'être aussi joyeux’’. »
La figure mythologique de Baùbo, emblématique de la féminité espiègle et salvatrice, initie et tamise en récurrence ce long poème chaotique et déjanté pour dresser une farandole hilarante, à la façon d’une féérie mortifère et joyeuse sur les jeux de l'amour et de la mort.
Des propos en apparence légers pour des messages à l'évidence profonds traversent les questions d’identité, de passion, de désir, confrontés aux sentiments de déception et de frustration, de manque et de renoncement.
C’est aussi une formidable illustration des principes de plaisir et de réalité, chers à la psychanalyse, traités avec un humour subtil et ravageur. À l’instar de cette scène de l’interview à la radio où le désir est si fort que le plaisir de sa satisfaction ne résiste pas à un détournement incongru (je vous laisse la surprise de sa découverte). Ou encore la scène de l'homme que la mort vient chercher, qui passe de circonvolutions en tergiversations pour tenter l’esquive et qui finira par l’admettre avec panache, sur et dans un tapis de salon.
La mise en scène de Jeanne Candel convoque le magique et le merveilleux, la ruse et la drôlerie, avec précision et fluidité. La direction de jeux agit particulièrement sur la maîtrise du corps et du geste pour un résultat impressionnant. Une joie roublarde feignant parfois la solennité de la tristesse ou l'importance de l'énonciation file tout le long et sert les sautillements d’une étape à l’autre.
On ne sait pas vraiment où l’on nous amène mais on s’y rend volontiers pour être pris à chaque fois. Cela peut être un moment suspendu où la poésie n’est pas loin, un guet-apens hilarant et déconcertant (ah, cette séquence clownesque impromptue !) ou encore une installation plastique mise en place avec les corps des artistes. Cette superbe esthétique d'ensemble est baignée d’une ambiance musicale riche où les rythmes ponctués s’entremêlent de lignes mélodiques sombres et de logorrhées éthérées chantées.
Au jeu théâtral ou musical, Pierre-Antoine Badaroux, Félicie Bazelaire, Prune Bécheau, Jeanne Candel, Richard Comte, Pauline Huruguen, Pauline Leroy, Hortense Monsaingeon et Thibault Perriard se révèlent des artistes véritablement agiles et convaincants. Un remarquable travail pour ce collectif, à l’écriture comme à l’interprétation.
Un moment de théâtre comme on aime. Beau et déconcertant, intelligent et divertissant. Je conseille vivement.
Spectacle vu le 3 décembre 2023
Frédéric Perez
De et avec Pierre-Antoine Badaroux, Félicie Bazelaire, Prune Bécheau, Jeanne Candel, Richard Comte, Pauline Huruguen, Pauline Leroy, Hortense Monsaingeon et Thibault Perriard. À partir des œuvres de Buxtehude, Musil, Schütz et d’autres matériaux.
Mise en scène de Jeanne Candel. Direction musicale de Pierre-Antoine Badaroux. Scénographie de Lisa Navarro. Costumes de Pauline Kieffer assistée par Constant Chiassai-Polin. Création lumière de Fabrice Ollivier. Collaboration artistique de Marion Bois et Jan Peters. Régie générale et plateau de Sarah Jacquemot-Fiumani.
Du 30 novembre au 9 décembre 2023 (relâches les 4 et 5)
puis du 2 au 10 février 2024 (relâches du 5 au 7)
2 route du champ de manœuvre, Paris 12ème
01 43 74 99 61 www.theatredelaquarium.net