Une fratrie troublée et troublante qui explose aussitôt après l’enterrement de la mère. Un événement singulier qui devient exemplaire quand il se montre en spectacle où le dévoilement audacieux fait la part belle à l’aveu étouffé et à la quête de reconnaissance de sa place au sein de la famille. Quels que soient ses secrets, quelles que furent et demeurent les douleurs obscures et lancinantes, et quoi qu'il en soit du besoin d'amour.
Que ressortira-t-il de ces mots dits des maux de l’enfance ? Enfouis ou retenus mais toujours latents, prêts à resurgir pour enfin peut-être espérer une résilience rédemptrice ?
« C’est le jour de l’enterrement de La Mère. Au retour de la mise en bière, dans la cuisine, la fratrie à fleur de peau se partage le banquet des non-dits et des bondieuseries. Ça parle plus vite que ça ne pense, c’est vif, à vif… La journée avance, les invités s’en vont, la famille, ce qu'il en reste, se révèle alors au grand jour. »
Le vernis craque. Les tensions montent à leur comble. Les colères se croisent et se multiplient tandis que les tentatives d’apaisement essayent de se frayer un chemin dans ce labyrinthe où s’amoncellent les non-dits mis à jour, les sentiments d’abandon et les cris d’affection empêchée. La souffrance est palpable. Heureusement l’ironie et le cynisme, la candeur et la tendresse, guettent et viennent piquer les situations à bon escient d’illusions oniriques et de traits drolatiques.
Souvenirs ou réminiscences, projections de nos peurs ou simples craintes de les rencontrer, le texte éclatant et intrusif de Frédérique Voruz nous invite sans nous exposer grâce au filtre de son humour corrosif, à une visite de nos propres relations affectives au sein de la famille et notamment celles vécues ou ressenties avec la mère.
La mise en scène de l’autrice est inventive et inspirée, brillante et efficace. Le miroir cathartique de la dramaturgie qui expose et dispose des relations humaines est ici savamment structuré de telle sorte que nous passons de la fiction tragique à la fiction comique sans perdre toutefois le sens profond des messages portés.
La crudité et la cruauté des situations cheminent aux côtés de leur narration souvent allégée par le détour des personnages qui les fait sensibles et fragiles, affectueux et drôles, charriant le récit vers une farce tragi-comique. Des séquences chantées parsèment le fil narratif et apportent à l’esthétique d’ensemble des touches de beauté calme comme des fenêtres ouvertes au vent pour faire entrer des bouffées d’air paisible.
La direction des jeux et l’interprétation qui en ressort désignent les couleurs de l’instant, le poids du chagrin et de la rancœur, et la puissance de la charge affective qui se dégage des personnages finement dessinés et formidablement incarnés.
Les comédiens nous délivrent un récit familial prégnant et proche. Elles et ils nous touchent dans l’intimité de nos pensées et de nos émotions tout en nous faisant sourire ou rire comme pour nous aider à passer sous le torrent en nous donnant la main.
Anaïs Ancel, Emmanuel Besnault, Victor Fradet, Aurore Frémont, Sylvain Jailloux, Rafaela Jirkovsky, Eliot Maurel et Frédérique Voruz construisent un magnifique travail de troupe. L’énergie des jeux est détonante. Elles et ils sont crédibles dans leur complémentarité, attachants dans leur narration, d’une implacable sincérité qui fait mouche.
Un moment fort de théâtre qui interpelle le spectateur dans sa propre histoire de vie. Du théâtre de l’intime de haute intensité, rieur et décapant. Je conseille vivement ce spectacle.
Spectacle vu le 5 février 2024
Frédéric Perez
Texte et mise en scène Frédérique Voruz. Création lumière, régie lumière et son Geoffroy Adragna. Création son Benoît Déchaut. Conseil artistique Franck Pendino. Musicien, compositeur Eliot Maurel.
Avec Anaïs Ancel, Emmanuel Besnault, Victor Fradet, Aurore Frémont, Sylvain Jailloux, Rafaela Jirkovsky, Eliot Maurel et Frédérique Voruz.
Jusqu’au 26 février
Samedi à 16h00, dimanche à 20h00 et lundi à 19h00
16 passage Piver, Paris 11ème
01 48 06 72 34 www.theatredebelleville.com